Refuser la cage identitaire
- muriellechatelier
- 30 avr.
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La présidente de l'AQUR, Murielle Chatelier, a signé cette lettre ouverte qui a été publiée dans Le Journal de Montréal le 17 avril 2025.
Récemment, un sondage mené par Léger pour le compte de l’Observatoire des communautés noires du Québec a été dévoilé dans La Presse. Sans grande surprise, cette analyse centrée sur la « race » et illustrant « l’opérationnalité du racisme anti-Noir » fait état des nombreux obstacles auxquels feraient face des jeunes d’ici en raison de leur couleur de peau. En tant que personne au teint foncé, je me pose la question: sommes-nous condamnés à voir notre épiderme invariablement associé à des expériences négatives?

Système public injuste, discrimination omniprésente, obstacles à l’entrepreneuriat, revenus insuffisants, enjeu de diplomation, surinterpellations à l’école... La table est mise. Chaque difficulté, chaque enjeu, serait donc imputable à la couleur de peau de ces jeunes « Noirs ». Mais tenter de tout expliquer à travers le seul prisme de la « race », est-ce réellement un progrès pour notre société?
Discours contre-productifs
Nous assistons aujourd’hui à une montée du discours identitaire qui, sous prétexte de justice sociale, place la « race » au cœur de nos relations et de nos enjeux sociaux. Quand les jeunes « Noirs » entendent sans cesse qu’ils sont discriminés, exclus et stigmatisés – au cours d’ateliers sur le racisme systémique dispensés dans nos écoles, dans les médias qui insistent sur leur couleur de peau, dans les documentaires militants qui les réduisent à une posture d’opprimés, dans des balados animés par des personnes « racisées » –, il n’est pas étonnant qu’ils finissent par intégrer ces idées comme des vérités.
N’est-ce pas là la meilleure façon d’ériger des murs entre «eux» et les «autres», de nourrir une méfiance réciproque? Oui, notre société compte des individus racistes. Mais il est essentiel de rappeler que le racisme peut venir de toutes parts: d’une personne « blanche », « racisée », asiatique ou autre. Cela dit, est-il aussi omniprésent et structurant qu’on le prétend? Poser la question, ce n’est pas nier les obstacles. Dans le contexte qui nous occupe, c’est refuser une lecture unique et réductrice de l’expérience des « Noirs ».
Plaidoyer pour une société post-raciale
L’antiracisme d’aujourd’hui semble avoir troqué l’égalité des chances pour une obsession des identités. Or, c’est précisément en cessant de faire de la «race» un marqueur central qu’on pourra avancer collectivement. Cela implique de réaffirmer les principes d’égalité, de responsabilité individuelle, de mérite – des principes qui transcendent les origines.
Je rêve d’un Québec où l’on n’associe pas invariablement la couleur de ma peau à mes idées, mes échecs ou mes privilèges. Je rêve d’une société où les « Noirs » ne se définiront plus comme des porteurs de traumatismes, mais comme des citoyens à part entière, remplis de rêves et d’idées. C’est dans cette direction que se trouve le véritable progrès.
À force de répéter que la société est intrinsèquement raciste, on décourage les efforts individuels tout en favorisant une forme de repli identitaire, d’auto-exclusion. Je refuse que ce discours affligeant soit le seul à la portée de nos jeunes. Pour ma part, je prône une indifférence à la « race » pour aller de l’avant.
Cette posture morale est un engagement pour l’universel. C’est croire, comme Martin Luther King, que l’on peut juger un individu non pas à la couleur de sa peau, mais à la teneur de son caractère. C’est cette vision qui m’anime.
À la jeunesse « noire »: vous n’êtes pas une couleur
Je souhaite transmettre ce message à la jeunesse dite « noire »: votre couleur n’est pas votre identité. Vous n’avez pas besoin d’y être constamment ramené. Votre valeur ne dépend pas de votre pigmentation.
Nous vivons par chance dans le Québec des possibles, où les occasions de s’épanouir, d’innover et de réussir foisonnent, indépendamment de notre couleur de peau. Et si discrimination il y a, des mécanismes existent pour y répondre. Utilisez-les sans pour autant laisser ces expériences définir qui vous êtes ni assombrir votre regard sur le monde qui vous entoure.
La société post-raciale que j’imagine se construit dans ce qui nous rassemble tous. Faisons un bout de chemin ensemble vers cet idéal, si vous le voulez bien.
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